[MÉTIERS DE FEMMES] Laurence, missilier-artilleur dans la Marine nationale : “Je me suis plus sentie évaluée en tant que jeune officier qu’en tant que femme”

Laurence

Tirer des coups de canon, c’est – entre autres – la mission de Laurence, missilier-artilleur dans la Marine nationale. Cette cheffe de service a intégré ce corps de l’armée il y a 23 ans, passant plus de 12 ans en mer et ne cessant d’évoluer. Sa carrière est exaltante, remplie de missions à l’autre bout du monde, et, évidemment, de missiles de tous calibres. Lors d’une conversation à bâtons rompus, nous avons voulu en savoir plus sur cette profession inédite.

Pourriez-vous nous détailler votre métier en quelques mots ? 

Laurence P. : Ma spécialité au sein de la Marine nationale, que j’exerce un peu moins maintenant car nos carrières sont très évolutives, c’est missilier-artilleur. Il s’agit d’avoir une connaissance technique de la mise en œuvre des systèmes d’armes des bâtiments (des bateaux, ndlr), des canons de différents calibres et des missiles. J’ai été cheffe de service ou cheffe de secteur selon la taille du bateau, avec du personnel sous mes ordres qui mettait en œuvre ces systèmes d’armes et qui en assurait la maintenance

“C’est moi qui donnais l’ordre de tirer. Ça fait partie de mes bons souvenirs”

Vous devez donc tout connaître des missiles : leurs calibres, leurs noms, leurs spécificités ?

L.P. : En fait, au sein de la Marine, la compétence technique pointue est davantage détenue par les officiers mariniers, sous-officiers, que par les officiers. Ça ne veut pas dire que les officiers ne comprennent rien (rires) mais moi, j’avais sous mes ordres des personnes qui avaient été formées depuis 20 ans et approfondissaient leurs compétences sur le matériel qu’on employait. 

Ma formation m’a permis d’avoir toutes les capacités pour comprendre les schémas techniques, les dossiers de maintenance… tout en étant secondée par des gens ayant une expérience plus longue que moi et qui, eux, avaient les mains dedans. 

En tant que cadre, il est évidemment absolument essentiel que, quand votre adjoint vous dit quelque chose, vous compreniez ce qu’il explique et que vous soyez capable d’aller expliquer vous-même pourquoi on a une panne et combien de temps il faudra pour la réparer.

 

Concrètement, c’est vous qui donnez l’ordre de tirer les missiles ?

 

L.P. : La partie mise en œuvre est très normée. On a une messe de tir, avec chacun des opérateurs à des échelons différents dans la chaîne de mise en œuvre : un qui donne des ordres, l’autre qui donne une réponse. Il faut l’apprendre, la maîtriser, comprendre à quel moment l’arme devient dangereuse. J’étais juste après le commandant. Donc juste après avoir reçu l’ordre du commandant, c’est moi qui donnais l’ordre de tirer. Ça fait partie de mes bons souvenirs ! On a des micros, des casques, on s’entend plus ou moins bien, il faut donner de la voix. C’est plutôt sympa : on est dans l’action, les coups de canons partent, ça fait du bruit. Et on le sent, car le bateau vibre

 

Dans quel cadre tire-t-on ?

 

L.P. : On tire un peu plus souvent en entraînement qu’en opération. Pour cela, on utilise de vrais obus, de vrais missiles, sur des cibles comme des petits avions télécommandés ou des ballons pour simuler un ennemi. L’objectif est d’être prêt le jour J pour tirer en ”cas réel”. Ce qui est arrivé ces derniers temps en mer Rouge : la situation exigeait qu’on tire, et cette fois-ci pas sur des simulateurs ou des cibles d’entraînement.

“J’étais très largement séduite par l’idée de découvrir le monde”

Laurence

Quel a été votre parcours pour en arriver à votre poste actuel ?

L.P. : J’ai passé un bac général scientifique. Ensuite, je suis rentrée en classe prépa, en MPSI (maths, physique, sciences de l’ingénieur) en sup, puis j’ai poursuivi en PSI (sciences de l’ingénieur) en spé.

 

En maths spé, à la fin de ma première année, j’ai uniquement présenté trois concours militaires pour devenir officier, compte tenu de mon niveau scolaire : École de l’Air, Saint-Cyr et École Navale. Ça n’a pas porté ses fruits du premier coup, donc j’ai redoublé ma maths spé pour repasser les concours. L’année suivante, j’ai élargi mon champ des possibles pour m’assurer d’avoir quelque chose. 

 

J’ai postulé à un ou deux autres concours et, cette fois, j’ai eu plus de chance et de réussite, et j’ai choisi la Marine

 

Pourquoi la Marine justement ?

L.P. : J’ai eu une attirance assez tôt pour les armées en général, sans avoir une idée très précise de ce que je voulais faire au sein des armées. Je ne me l’explique pas forcément car je ne viens pas d’une famille de militaires. 

 

J’ai postulé pour intégrer une classe prépa dans l’un de ces établissements et j’ai été admise aux Pupilles de l’Air, en banlieue de Grenoble. C’était un lycée militaire relevant de l’armée de l’Air. Là-bas, j’ai eu beaucoup d’échanges avec des élèves qui avaient réussi les concours juste avant moi. Pour le coup, c’est comme ça que j’ai découvert la Marine.

 

Grandissant en région lyonnaise, la Marine, c’était loin. J’ai commencé à m’y intéresser un peu et j’ai mis les trois écoles – Air, Terre et Marine – côte à côte. J’étais myope à 15 ans, ce qui fermait beaucoup de portes. Je me suis donc détournée de l’armée de l’Air. Je n’étais pas non plus une grande sportive : l’armée de Terre est aussi assez vite sortie de mes choix. Et comme j’étais très largement séduite par l’idée de découvrir le monde, j’ai choisi la Marine.

“Il faut aimer la vie en communauté”

Combien de temps avez-vous passé en mer au total ? 

L.P. : Jusqu’à présent, j’ai fait 12 ans d’affectation sur des bateaux, mais pas 12 ans consécutifs. J’ai exercé sur 8 bateaux différents, pour développer mes compétences. Quand je suis sortie de formation à l’école, j’étais sur un pétrolier ravitailleur. L’année d’après, dans mon cœur de spécialité, cheffe de secteur artillerie. L’année d’après, j’étais sur une frégate anti sous-marine, toujours dans le domaine de l’artillerie. C’est très dynamique ! 

 

Quelles qualités faut-il avoir pour partir en mer si longtemps ?

 

L.P : Les plus longues missions durent 5 mois, 5 mois et demi. Très clairement, il faut aimer la vie en communauté, aimer vivre et partager son quotidien. 

 

Moi, en tant qu’officier, j’ai toujours eu une chambre individuelle, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Ça m’a apporté un peu d’intimité et de calme. Mais par contre, toute la journée, vous prenez vos repas, votre temps de loisirs, vous faites votre travail, tout ça en communauté. Il faut aimer vivre avec les gens, et ne pas être un solitaire dans l’âme.

“Je me suis dit que j’allais faire le métier dont j’avais envie”

Vous exercez aussi un métier que beaucoup considèrent comme “un métier d’hommes.” Vous avez ressenti une différence dans votre parcours en étant une femme ?

 

L.P. : Très objectivement et paradoxalement, je n’ai pas forcément abordé les choses sous cet angle. C’est le signe que je suis arrivée à un moment où ce n’était plus si exceptionnel que ça. Quand j’ai choisi cette voie, je ne me suis pas dit : Tiens, tu vas faire un métier de garçon. Je me suis dit que j’allais faire le métier dont j’avais envie. Les équipages sont mixtes depuis longtemps sur les bateaux. 

 

J’ai rencontré encore quelques personnes réticentes, des très anciens qui étaient plus surpris et qui ne savaient pas comment s’y prendre. Mais ça a été assez fugace. Je me suis plus sentie évaluée en tant que jeune cadre, que jeune officier, qu’en tant que femme. La compétence était encore le meilleur moyen de se faire accepter.

“Il ne faut pas s’autocensurer en se disant qu’on n’est pas capable”

Quels conseils donnez-vous aux jeunes filles qui vous contactent sur My Job Glasses ?

L.P. : Je pense qu’il ne faut surtout rien s’interdire, vraiment. Aujourd’hui, quand on est attiré par une carrière militaire dans la Marine, toutes les spécialités, tous les domaines d’emploi sont ouverts aux femmes. Si c’est le canon ou le missile qui, techniquement, vous intéresse, il faut demander à faire cette spécialité-là. Je pense que, vraiment, sur les bateaux, le fait d’avoir des femmes à tous les niveaux de la hiérarchie, jeunes matelots ou commandants de frégate un peu moins jeunes – désolée pour les copines ! -, est une excellente chose. Il ne faut pas s’autocensurer en se disant qu’on n’est pas capable. Dans la Marine, on est de toute façon sélectionné et formé. 

 

Aujourd’hui, vous avez « raccroché » les missiles et les canons ?

L.P. : Pour le coup, c’est quelque chose que je dis souvent : ça fait 23 ans que je suis dans la Marine, mais en 23 ans, je n’ai jamais fait le même métier.

 

Aujourd’hui, à l’état-major de la Marine à Paris, je travaille désormais dans la transformation. Je contribue à réfléchir à l’organisation des unités de la Marine, à la mise à jour de la documentation. 

 

Au sein des armées, on change de poste tous les 2 à 3 ans. Donc, effectivement, en ce moment, je fais ça, mais j’occuperai sans aucun doute un autre poste après. Dans une carrière, on fait plusieurs métiers. On est toujours amené à évoluer.

Et maintenant ?

Le métier de missilier-artilleur vous intéresse ? La Marine nationale pourrait vous correspondre ? N’hésitez pas à contacter un ambassadeur de ce domaine d’activité afin de lui poser toutes vos questions, et, pourquoi pas, découvrir votre vocation !